Un jour, Jeanne ne rentre pas chez elle. « Je ne suis pas allée travailler. Je ne suis pas allée chercher les enfants. Je ne suis pas rentrée chez moi. » Son mari et ses deux enfants l’attendent et s’inquiètent. Elle leur téléphone pour les rassurer, leur dire que tout va bien, qu’elle les aime toujours autant, mais qu’elle ne peut pas. Brusquement, elle est empêchée. Interdite. La peur a pris toute la place et le moindre mouvement lui demande une énergie extraordinaire. Elle prévient chez elle, et pendant deux mois, elle erre dans la ville, marche dans les rues, dort dans un hôtel. Le jour, la nuit, elle attend. Que quelque chose se passe. Une chose qu’elle pressent au fond d’elle et qui demande à sortir. Elle rencontre une jeune fille qui a choisi de s’appeler Lou Reed parce que « il n’y a pas de raison qu’un joli nom ne serve qu’à une personne. Ça me plaît, je le prends. Aussi simple que ça. » Lou Reed a vu progressivement sa chambre d’hôtel se transformer en un marais dans lequel elle vit. Jeanne ne s’en étonne pas. Régulièrement elle écrit et envoie des petits cadeaux à ses enfants. Des objets trouvés ici et là. Des cailloux, des plumes. Et puis quelque chose va changer. Ou plutôt c’est elle va changer. Changer de point de vue. Réapprendre à vivre. Comme si la condensation du monde créait une nouvelle Jeanne. Il n’y aura pas de coup de théâtre, de révélation surprenante, mais une sorte de fondu enchaîné qui la fait tout doucement basculer.
Yan Allegret écrit précisément. Sans fioritures et sans facilités. Dès les premières pages nous sommes embarqués en compagnie de Jeanne. À la fois parce que nous voulons savoir, mais aussi parce que Jeanne nous ressemble. Que cherche-t-elle? Que refuse-t-elle? Nous sentons confusément que cette aventure est aussi la nôtre. Que vouloir donner un sens à sa vie est le lot de tout un chacun. Et qu’il faudra du temps, de l’espace, du rien aussi pour que cesse la peur. À travers les monologues de Jeanne et les conversations téléphoniques avec Eloi son mari, nous entons et suivons ce besoin d’échapper au quotidien, « Besoin de sentir d’autres vies que la mienne. » jeanne est notre sœur.
Patrick Gay Bellile. Le Matricule des Anges